La genèse de la thérapie miroir

A l’origine le Dr Ramachandran

Le Dr Vilayanur Ramachandran, neuroscientifique et expert du cerveau, est un chercheur passionné par le cerveau et par ses capacités d’adaptation. Travaillant au contact de patients souffrant de désordres mentaux consécutifs à des lésions cérébrales ou des accidents vasculaires cérébraux, il associe les fonctions de l’esprit à des structures du cerveau.

Il est reconnu pour ses travaux en neurologie comportementale et pour utiliser des méthodes « simples » dans le domaine de la neuro-imagerie. D’après le Dr Ramachandran, « on a perdu beaucoup trop [en science] du sens victorien pour l’aventure ».

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Ramachandran lors du gala du Time en 2011

Aujourd’hui directeur du Center for Brain and Cognition à San Diego (US), il est l’auteur d’ouvrages de référence sur la thématique des douleurs fantômes qu’il a exploré auprès de patients amputés tels que « Phantoms in the Brain », « A brief Tour of Human Consciousness » ou encore « The Man with the Phantom Twin : Adventures in the Neuroscience of the Human Brain ».

A la fin des années 1990, Richard Dawkins le compare au « Marco Polo des temps modernes » et Eric Kandel au « Paul Broca moderne ». En 1997, il compte parmi les 100 personnes les plus éminentes à suivre pendant le XXI siècle par le magazine Newsweek et parmi les 100 personnes les plus influents dans le monde par le Time. En 2005, il est récompensé de la Médaille Henry Dale (Grande Bretagne), est fait membre honoraire à vie de la Royal Institution of Great Britain et présente une communication orale aux côtés d’une douzaine de prix Nobel.

Pour consulter l’article du Time, cliquez ici.

En ce qui nous concerne, il est important de noter que le Dr Ramachandran est le créateur du principe de la thérapie miroir à destination des problématiques des douleurs fantômes. Son postulat de base reposait sur le fait que la disparition d’un membre pouvait entraîner des modifications notables, des « mal-adaptations » cérébrales, source de la douleur neurologique. Le schéma corporel est perturbé et le lien entre cerveau/membre est rompu. Le but serait donc de proposer au cerveau du patient une image normale et saine du corps afin de recréer des mouvements sur le membre disparu. Les résultats sont probants et offrent des perspectives de développement intéressants.

TED talks

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En s’appuyant sur des exemples concrets, le Dr V. Ramachandran nous présente comment l’étude de différents troubles cérébraux peuvent nous permettre de comprendre les liens entre tissus cérébraux et esprit.

Pourquoi vous devriez écouter !

Ramachandran est un conférencier captivant, capable de décrire concrètement et simplement les rouages les plus complexes du cerveau. Ses enquêtes sur la douleur du membre fantôme, les synesthésies et d’autres troubles du cerveau lui permettent d’explorer (et progressivement de répondre) aux questions philosophiques les plus élémentaires sur la nature de soi et de la conscience humaine.

Les troubles fantômes

En 1996, V.S. Ramachandran and D. Rogers-Ramachandran publient dans « The proceedings
of the Royal Society » un article intitulé « Synaesthesia in Phantom Limbs Induced with Mirrors » et signent ainsi la naissance de la thérapie miroir.

L’auteur constate que les sensations kinesthésiques et douloureuses dans le membre fantôme varient d’un individu à un autre. Certains ressentent des mouvements, des spasmes ou encore des sensations de membre « gelé » etc… le Dr Ramachandran énonce trois hypothèses principales à ces observations :

  • Si un bras était paralysé avant l’amputation (lésions de nerfs périphériques par exemple), le membre fantôme aura tendance à être paralysé et occupera sensiblement la même position dans le schéma corporel du patient. L’auteur appelle ce phénomène une « paralysie apprise ».
  • Dans le cas d’une amputation consécutive à un acte chirurgical non traumatique (tumeur), le patient peut généralement effectuer des mouvements de mobilisation du membre fantôme de façon volontaire. Avec le temps, la capacité à produire/imaginer ce mouvement décroit progressivement chez certains patients.
  • Si le patient ressent une douleur fantôme vive et intense, le patient ressent une grande difficulté à mobiliser son bras fantôme car la production du mouvement peut amplifier la douleur. C’est le même principe de kinésiophobie que l’on peut retrouver dans d’autres cas de douleurs chez des patients non amputés (SDRC…).
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Dispositif de boîte miroir. Un miroir est disposé verticalement au centre d’une boite en bois. Le patient place sa main saine sur un coté de la boîte et observe le reflet de celle-ci dans le miroir.

Le postulat est donc simple, si le cerveau est capable d’apprendre qu’un membre est paralysé, peut-on alors l’aider à désapprendre cette paralysie / réapprendre ce mouvement perdu (plasticité cérébrale). Pour cela, le Dr Ramachandran imagine un dispositif de boîte miroir dans lequel le membre sain du patient est reflété par un miroir sur le côté opposé, en lieu et place du bras amputé. Ainsi le patient est en mesure de voir à nouveau ses deux mains. Les afférences visuelles pourraient ainsi offrir un support concret à ce nouvel apprentissage.

Les consignes sont simples, le patient doit produire un mouvement prédéfini en amont par le thérapeute avec sa main saine et reproduire simultanément ce même mouvement avec sa main fantôme. Pour certains patients, l’expérience fut étonnante. En effet, l’auteur reporte le cas d’un homme qui ressent la production d’un mouvement sous l’illusion du miroir dans son bras amputé tandis qu’il retrouve un membre immobile et gelé dès lors qu’il tente cette même expérience sans le feedback du miroir.

10 patients ont été testé suivant ce protocole. L’ancienneté des blessures est variable puisque l’on note des inclusions post-amputation s’étalant de 2 mois à 19 ans. Pour des raisons pratiques, tous les patients n’ont pas suivi exactement le même protocole et des réajustements mineurs ont eu lieu pendant la prise en charge. Pour ces raisons, l’auteur présente les résultats obtenus individuellement.

Il est par ailleurs intéressant de noter que pour certains patients, l’expérimentateur a créé l’illusion du mouvement par sa propre main et non au travers de la main saine du patient. Dans les deux cas, le patient ressent profondément l’initiation d’une commande motrice dans le membre fantôme. Les afférences visuelles semblent donc être suffisantes pour « tromper » le cerveau et la production d’un mouvement bilatéral non-indispensable.

Conclusions

Le retour d’informations selon un système de leurre visuel au niveau du bras amputé d’un patient permettrait l’émergence de nouveaux circuits neuronaux effectifs et organisés en moins de trois semaines. Le Dr Ramachandran note par ailleurs la restauration quasi immédiate d’un mouvement dans le membre fantôme et ceci même dans les cas d’amputation (très) ancienne. Enfin, un total de trois heures seulement, sur le dispositif de thérapie miroir, répartis sur trois semaines aura suffi à un patient pour :

  • Se réapproprier son image corporelle,
  • Eliminer ses douleurs au niveau du coude et
  • Remobiliser ses doigts.

A partir de ces résultats précurseurs, Ramachandran va investiguer plus en profondeur les mécanismes qui sous-tendent les améliorations constatées sous thérapie miroir et ses applications pratiques. De nombreux auteurs vont s’intéresser à cette nouvelle thérapie et l’apport de l’imagerie fonctionnelle constituera, un peu plus tard, une avancée importante dans la compréhension et l’exploration des bases neurophysiologiques qui soutiennent ces améliorations.

Ramachandran, V.S., Rogers-Ramachandran, D., 1996. Synaesthesia in phantom limbs induced with mirrors. Proc. Biol. Sci. 263, 377–386.